Mise en réserve, migration, confinement, disparition. Où vivent Clara Hubert et Thomas Cany, la réserve naturelle de l’île du Rohrschollen (Rohr signifiant “roseau” et Schollen, “motte de terre “) cohabite avec une zone industrielle portuaire. L’Union européenne et la Ville ont investi deux millions d’euros dans le projet Life+ pour restaurer ces forêts alluviales avec des crues artificielles. À Strasbourg, nature et technique peuvent-elle s’accorder ?
L’ambivalence puissante de ce paysage inspire un laboratoire théâtral : Moi, Vivant.e. Sur la berge du port industriel du Rhin, le duo détourne un conteneur qui devient un prisme pour la lumière naturelle : le Théâtre-Container. Sur l’autre rive, à l’orée de l’espace protégé, ils construisent sa réplique, le Théâtre-de-l’Ouvert, une structure de bois et de tissus. Deux spectacles s’y inventent en écho aux mutations d’une même terre. La présence et le jeu des comédiens s’appuient sur une création par un auteur in situ. Dans ces observatoires de la nature et de ses mouvements, les aléas inhérents au lieu écrivent avec eux la partition finale.
Moi, Vivant.e se fonde sur une économie circulaire et l’éco-conception. Par sa “pauvreté” technologique et sa machinerie, il souhaite faire l’éloge d’un théâtre technique sans consommation d’énergie. Les projecteurs sont fabriqués sans électricité, ayant pour seule force la lumière du soleil, mais cherchant à égaler la qualité de l’éclairage d’une scène contemporaine.
Le projet entend se réapproprier une tradition théâtrale – au sens étymologique de “lieu d’où l’on voit” – et propose une médiation entre le port, la réserve naturelle et les habitants. Par cette traversée, il cherche à inspirer un sentiment de commune appartenance.
Quel est votre rapport, en tant qu’artiste ou à titre personnel, à l’engagement environnemental ?
Pour nous, la crise environnementale est indissociable de nos vies, elle nous impose un engagement. Dans un monde où, en tant que citoyens, nous ne trouvons pas notre place et où nous sommes souvent impuissants à agir, jouer avec les questions de décroissance, de protection et de durabilité nous permet de sortir furtivement de l’angoisse.
Notre volonté d’agir s’est cristallisée lorsque nous nous sommes rencontrés au Théâtre National de Strasbourg, et nous avons vu dans l’appel à projet du Prix étudiant COAL – Culture & Diversité une opportunité de mettre en œuvre nos idées.
L’engagement environnemental est souvent perçu comme une contrainte dans la création théâtrale, mais nous travaillons à nous l’approprier. Nous cherchons à produire, construire et diffuser autrement nos œuvres pour participer à la transition écologique. Nous nous retrouvons dans une situation d’expérimentation semblable à celle de l’adolescence, pleine d’idéalisme et d’incertitudes : nous essayons par le hasard, le risque et le jeu de construire notre orientation politique et environnementale.
Comment imaginez-vous le monde qui vient ?
Clara : J’imagine que le monde qui vient sera resté inchangé, ou devenu amorphe. Si l’humanité n’est pas encore asphyxiée, elle devra alors vivre « sous le manteau ». Le rire et l’imaginaire auront disparu, et avec eux toute possibilité d’échappatoire.
Thomas : Pour moi, il y a une urgence à agir parce qu’une opportunité s’offre à nous, le temps n’est plus seulement à l’imagination, mais à la mise en œuvre. Malgré l’angoisse générée par un monde insaisissable, ma seule certitude est que je ne m’y imagine pas seul.
Clara et Thomas : Nous ne savons pas comment sera le monde qui vient, mais nous le voulons meilleur. A deux, il est plus facile de transformer l’inertie de nos peurs et de nos espoirs en actes. Ainsi, c’est l’art dans sa relation au monde qui nous entoure, qui nourrit nos imaginaires et qui participe à la construction de l’avenir.
Image à la une : © Hubert/Cany, Photo sur site, 2020